Complément à la conférence de Myriam Bacqué sur la médiation traditionnelle africaine, donnée en mai 2019, lors de la croisière du Groupe européen des magistrats européens (GEMME)
Par Alain Ducass, Ingénieur consultant et médiateur, dirigeant la société energeTIC, qui agit comme catalyseur de la transformation énergétique, numérique et sociale de l’Afrique. Choqué par la faible part de la culture africaine dans l’enseignement de la médiation en Europe, il organise chaque année les semaines euro-africaines de la médiation et du changement pour faciliter les échanges interculturels dans ce domaine. Administrateur du Conseil International de la médiation, il publie la lettre de veille « Afrique Médiation Info ». Contact = alain.ducass@energeTIC.fr
En Afrique, la médiation est naturelle comme le montre l’exemple suivant :
Alors qu’un couple de français logeait chez leurs amis béninois, ceux-ci leur demandent de rester à la maison le lendemain matin, sans leur dire pourquoi. Peu à peu d’autres amis béninois arrivent, et, vers 10H00, l’objet de la rencontre s’éclaire : un père ne parlait plus à sa fille depuis trois ans. Après deux heures de « palabre », où nous chacun donne son avis, y compris les invités français, la fille se met à genoux devant son père et demande pardon. Celui-ci pardonne, et désormais, ils se reparlent.
Pour aborder la médiation traditionnelle africaine, il faut s’imprégner de la culture qui diffère sensiblement de la culture européenne. Ainsi, la boucle de contact utilisée en Gestalt, obéit à des règles précises chez les Akans en Côte d’Ivoire :
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- On peut arriver à l’improviste chez quelqu’un, mais il faut une autorisation pour repartir. Quand on arrive, la cérémonie d’accueil est régie par des étapes très structurées, ainsi, par exemple :
- L’hôte nous fait asseoir ;
- Il nous fait apporter de l’eau ;
- Quand on a bu, et seulement à ce moment-là, un de ses proches demande les nouvelles ;
- On invite un de nos proches à répondre que tout va bien, en disant par exemple « Rien de grave, nous sommes arrivés » ;
- Le porte-parole (ou porte-canne pour un chef traditionnel), répond de façon semblable ;
- Après un temps de silence, où l’on se regarde, on demande à nouveau les nouvelles ;
- Alors seulement on peut annoncer le but de la visite.
Si l’invité est un chef traditionnel, il enverra probablement un de ses proches déposer une bouteille de Gin à vos pieds en disant, « c’est pour vous laver les pieds ». Si vous voulez vous-même offrir un cadeau, il est d’usage de passer par un tiers médiateur, question de respect. Au cours du séjour, il est poli de rencontrer et saluer tous les notables des hiérarchies coutumières, civiles, religieuses, etc… Avant de partir, vous devrez demander la route. Probablement, on ne nous en accordera que « la moitié », en expliquant que c’est pour que vous reveniez.
De même, les règles hiérarchiques diffèrent d’une ethnie à une autre si bien qu’il importe de les connaître pour pouvoir s’y retrouver.
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- Chez les Akans, l’autorité familiale est dévolue à l’oncle ;
- Au Burkina Faso, les Mossis et les Samos sont deux ethnies « cousines ». Ils se taquinent sans arrêt mais, lorsqu’il y a conflit dans une ethnie, on va chercher un médiateur dans l’autre.
Chaque médiation, ou chaque arbitrage par le chef coutumier a pour but principal la réconciliation des parties, sans chercher qui a raison ou tort, car la cohésion familiale, villageoise ou ethnique est essentielle à la survie du groupe. Voici un exemple de résolution de conflit et de cérémonie de réconciliation au village de Duquesne-Crémone, près d’Adzopé en Côte d’ivoire, où les chefs coutumiers prétendent qu’ils n’ont jamais eu à appeler la police pour ramener l’ordre dans le village.
Lorsqu’un homme est surpris en situation d’adultère, il est convoqué par les chefs coutumiers. Une fois les faits reconnus et les points de vue de chacun entendus, l’amant paye une amende de 50 000 F CFA (soit 75 €) au mari trompé. Il offre en outre un agneau aux chefs coutumiers. Ceux-ci l’apprêtent et les villageois le mangent ensemble, avec la présence obligatoire de la femme adultère, du mari trompé et de l’amant.
Pour promouvoir la médiation dans la société africaine, et faire connaître en Europe les méthodes africaines de résolution des conflits (MARC…), l’OHADA a accepté de créer en 2020 un prix de la médiation, en lien avec le Conseil international pour la médiation et les semaines euro-africaines de la médiation et du changement, en complément des autres prix de son concours international annuel « Génie en herbe ». Ce nouveau prix a fait l’objet d’une intervention le 13 septembre 2019 à l’Université de Lomé, lors d’un colloque sur le droit Ohada, facteur d’investissement, levier de développement.