La médiation, une attitude profondément ancrée dans la culture sénégalaise.

Le 11 septembre 2022, Mamadou Diakhaté, juge à la Cour Suprême du Sénégal et membre du Comité national de médiation du Sénégal ainsi que Me Moustapha Faye, avocat-médiateur à Dakar ont accepté de répondre aux questions d’Alain Ducass, médiateur français de passage à Dakar pour une médiation internationale commanditée par la Banque africaine de développement dans le cadre de son mécanisme indépendant de recours. En voici une brève synthèse qui intègre leurs trois points de vue.

Où en est la médiation au Sénégal ?

La médiation est prévue depuis longtemps dans le code de procédure civile. Une étape importante a été franchie avec le décret par le décret 2014-1653 sur la médiation professionnelle qui a inspiré l’acte uniforme de l’Ohada sur la médiation de 2017. Sur ces bases, les pouvoirs publics avaient confié la promotion de la médiation à un comité national de la médiation et de la conciliation créé en 2015 et cela a marché un temps, mais le décès de son secrétaire général a bloqué le processus.

Actuellement, on distingue essentiellement cinq types de médiations :

  • La médiation professionnelle se développe lentement autour de médiateurs indépendants, regroupés notamment dans le Centre d’Arbitrage, de médiation et de conciliation[1], même si, dans les faits, le CAMC privilégie l’arbitrage sur la médiation.
  • La médiation institutionnelle est proposée par les banques, les assurances, le secteur maritime. Elle fonctionne avec des médiateurs nommés par les institutions ;
  • La médiation de proximité, est proposée dans une vingtaine de maisons de justice qui auraient traité 150 000 médiations de 2006 à 2019, avec un taux de succès de l’ordre de 75 %[2]. Ousmane Barry, coordinateur de la Maison de justice HLM témoigne : les gens viennent pour un conflit de voisinage, de loyers ou de dettes impayées, de tontines, de problèmes d’état civil, le divorce ou de succession. « C’est à peu près comme on le faisait dans les temps anciens, sous l’arbre à palabres, mais dans une forme plus moderne, plus rationnelle, conforme au droit», explique.
  • La médiation traditionnelle est profondément ancrée dans la culture du pays, même si cela tend à diminuer. Elle est présente partout pour assurer la cohésion de la famille, du quartier, du village, de l’entreprise, avec un rôle de médiateur tenu par le chef de famille, le chef de quartier, le marabout, l’imam, les femmes etc.

Est-ce que les pratiques traditionnelles de médiation influencent les pratiques de médiation professionnelle ?

La médiation est aussi très ancrée dans la culture comme en témoignent de nombreux proverbes sénégalais[3] :

  • Manger dans le même plat vaut mieux que de donner à chacun une part ;
  • Il n’y a pas deux personnes qui ne s’entendent pas, il y a deux personnes qui n’ont pas discuté.
  • Fu jàmm yendu nit a fa xam lu mu waxul.Là où la paix a passé la journée, il y a quelqu’un qui sait quelque chose qu’il n’a pas dit.
  • Lu la mar mayul, màtt du la komay.  Ce que lécher ne peut pas donner, mordre ne le donne pas.
  • Gannaw ay, jàmm. Après le conflit, la paix.
  • Ku dul toxu doo xam fu dëkk neexe.  Si tu ne changes pas de place, tu ne peux pas savoir quel endroit est agréable.

Dans la culture traditionnelle, la médiation n’est pas conçue comme un métier, mais c’est un attribut du chef qui favorise toujours l’intérêt collectif sur les intérêts particuliers. Elle est également pratiquée par les griots, les marabouts, les imams, les femmes et finalement par tout un chacun. Voici quelques exemples qui montrent qu’elle peut aussi avoir un rôle dans le monde économique.

Me Moustapha Faye se souvient d’un grand projet d’infrastructure dont l’emprise foncière empiétait sur le cimetière d’un village. Les enquêtes publiques avaient sous-estimé le problème alors les habitants ont fait appel aux chefs coutumier du village, mais cela n’a pas suffi et ils ont fait appel à la chefferie de la contrée. Il se souvient que le chef coutumier parlait peu mais, lorsqu’il abaissait les mains, tout le monde faisait silence et l’écoutait. Ainsi, une solution a été trouvée en déplaçant une partie du projet sur le village voisin. En fait, la médiation coutumière est tellement ancrée dans la culture et dans la vie quotidienne qu’une médiation professionnelle a du mal à émerger comme une pratique spécifique.  C’est pour cela qu’avec des médiateurs belges, il a introduit le concept de médialabre (palabre et médiation) qui traduit la proximité des deux modes de traitement des conflits. Sans renier les apports de la tradition, le médialabre met en avant le métier de médiateur permettant de régler des litiges de façon horizontale, c’est-à-dire entre égaux, et non seulement vertical, c’est-à-dire avec un chef ou un imam.

Outre la palabre, le cousinage à plaisanterie agit également comme une forme de médiation traditionnelle. Inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, à la demande du Niger, cette pratique est profondément ancrée dans la culture sénégalaise et elle permet de dédramatiser des situations, par un tiers qui va jouer un rôle de trublion, en provoquant parfois une catharsis nécessaire à la résolution d’un conflit. Il n’est pas rare qu’un fait qui serait moralement ou juridiquement punissable, soit toléré à cause d’une parenté à plaisanterie, car l’alliance entre les deux parties (cousins, ethnies, parents …), est un ciment plus fort que les événements qui pourraient la fissurer.

Une autre spécificité de la médiation traditionnelle est qu’elle ne se termine pas avec la signature d’un accord mais qu’elle donne lieu à une cérémonie de réconciliation, en présence de la communauté. Cette pratique est essentielle pour assurer la cohésion sociale et prévenir les récidives. Lorsqu’il était enfant à l’école, Mamadou Diakhaté se souvient qu’un photographe exposait sur un panneau les photos des élèves. Si la famille n’achetait pas la photo dans un délai fixé, il mettait alors la photo la tête en bas et c’était une honte pour la famille concernée. Comme l’ont théorisé les occidentaux dans la conduite du changement, la préservation de sa réputation dans la communauté constitue un levier très puissant qui permet aux parties de trouver un accord.

Quant à savoir comment favoriser la synergie entre la médiation traditionnelle et médiation professionnelle, des initiatives comme les sessions euro-africaines de la médiation et du changement (SEAM[4]) ou le Conseil International de la médiation[5] y contribuent et méritent d’être encouragées.

Comment tirer parti de la culture de médiation au Sénégal ?

Avec l’urbanisation et les mouvements de personnes, la très grande richesse que constitue la culture sénégalaise de la médiation risque de s’appauvrir.

Pour pallier ce risque, il semble important de promouvoir la médiation sous toutes ses formes, car elle est économiquement et socialement rentable.

Habituellement les parties en conflit se font une image de leur adversaire et, le plus souvent cette image est négative. Quand ils ne se connaissent pas et qu’ils se rencontrent pour la première fois, le premier contact est déterminant et il peut changer le cours des choses. Quand ils se connaissent, leur réputation face à la communauté peut contribuer à régler le conflit.

En fait, chacun peut contribuer à promouvoir la médiation par des initiatives individuelles comme nos orateurs l’illustrent, chacun dans sa fonction.

  • Me Moustapha Faye : en tant qu’avocat, lorsqu’un plaignant m’apporte un litige dans le cadre d’un contrat, je regarde en priorité les clauses de règlement des litiges. Si elles prévoient que les plaignants doivent d’abord rechercher un accord à l’amiable, alors, je leur rappelle leurs obligations. S’ils ne sont pas parvenus à s’entendre, je continue à les accompagner vers le dialogue et la réconciliation plutôt que vers la procédure judiciaire.
  • Mamadou Diakhaté : Quand j’étais jeune juge, je recevais des plaignants et je leur disais souvent : oui je peux vous entendre et dire le droit, prononcer une peine ou une réparation mais est-ce bien cela que vous voulez ? Ne préférez-vous pas vous mettre d’accord et trouver un arrangement qui vous permettra de vivre en bon entendement plutôt que de recevoir une décision qui fera un gagnant et un perdant ?

Tus deux pensent que développement de la médiation passera par des actions de communication et de formation, sous la forme de séminaires, colloques, articles de presse, etc.

Un jour un sage était interrogé par une personne qui voulait le piéger. Elle lui dit : j’ai un oiseau dans une de mes deux mais, sais-tu laquelle ? Il observa et choisit la main gauche, avec raison. Elle lui demanda alors : est-il mort ou vivant ? Et le sage de dire : la réponse est dans tes mains.

Tel est le cas aussi de la médiation au Sénégal, à la fois ancienne et traditionnelle qui pourrait se perdre si nous n’y prenons garde.

Tel est aussi le cas de la médiation professionnelle qui ne décollera que si nous l’y aidons.

 

[1] (CAMC | Centre d’arbitrage et de médiation et de Conciliation (arbitragesenegal.com)

[2] https://justice.sec.gouv.sn/publications/chiffres-cles/

[3] http://homme-itinerant.fr/proverbeswolof/

[4] https://energeTIC.fr/SEAM

[5] https://cim-imc.com