Extraits du livre de Jean-Jacques Samuel, Retrouver mon étoile. Du bon usage de mes émotions pour retrouver mon désir profond, juin 2016

  1. 1-2 : je m’apprête à déballer mon sandwich dans une gare de Montpellier, tandis que monte en moi une angoisse inattendue qui me serre la gorge… Je suis descendu de la montagne de l’Escandorgue où se trouve ma maison, à 60 km de là, pour acheter un billet d’avion. Je vais partir en Amérique Centrale et survoler l’Atlantique pour la première fois de ma vie. Ce n’est pas un voyage touristique, je pars en mission pour une ONG : les PBI (Peace Brigades International). Je vais servir d’escorte non armée à des personnes menacées de mort au Guatemala et au Salvador, deux pays où sévissent des guerres civiles. PBI manque de moyens financiers et j’ai dû faire appel à des amis pour payer le billet trop cher pour moi. Je comprends à ce moment précis qu’il n’est plus question de faire machine arrière puisque j’ai donné le chèque à l’agence de voyage pour un billet non remboursable et que j‘aurais trop honte d’avoir gaspillé l’argent de mes amis : les dés sont jetés. […]

Je vois défiler mes idées à toute vitesse : je suis marié, j’ai trois enfants entre 6 et 10 ans. Personne ne me reprocherait de rester ici, bien peinard. Au contraire certains de mes proches m’ont fait sentir que j’étais un peu irresponsable de laisser ma famille et d’aller jouer au héros. […]

Je me sens coincé dans un ragoût émotionnel fait de peur, de colère contre moi-même, et de culpabilité. Gros malaise. Impossible de retourner à l’agence, rien d’autre à faire à ce moment que de vivre ce moment, avec les pigeons qui s’approchent de mon banc en quête de miettes, la brise douce qui caresse mon visage, la rumeur de la circulation sur le boulevard proche, le ventre noué, la gorge serrée, la respiration courte.

Une pensée apparaît dans ma conscience ? Pourquoi j’y vais ? La réponse spontanée jaillit au fond de mon être : « Pour moi, pour faire face à mes ombres, à mes peurs. Pour ne pas mourir idiot, trouver un sens à ma vie. » Alors un sentiment de soulagement vient me visiter et me détendre, et immédiatement, je contacte un désir profond : vivre plus intensément. Oui, cette mission est une réponse à ce désir. La peur est là, bien sûr, comme l’autre face du désir, mais je choisis le désir. Je choisis et tout le malaise s’efface comme par miracle. Je m’étais affaissé, je me redresse, je sens la vie en moi, la vie qui m’entoure. Les pensées se calment, j’ai faim et j’entame mon sandwich au jambon.

[…] J’avais 39 ans quand j’ai vécu ce moment inoubliable, depuis 4 ans je commençais une carrière de formateur. En moi s’est affirmée une conviction : en traversant les émotions, même désagréables, on rentre dans le flux de la vie, on permet aux désirs profonds d’émerger, ces désirs qui donnent sens à la vie et se cachent parfois derrière l‘angoisse, l’impuissance, le désespoir ou la dépression. […] Je ressens aujourd’hui le besoin de témoigner de ma propre expérience et aussi celle des personnes que j’ai rencontrées depuis 25 ans en tant que praticien de la méthode VITTOZ. J’ai envie de partager avec vous comment je me suis laissé transformer, en choisissant de vivre, en me confrontant à la violence, y compris la mienne. […] Il ne s’agit pas de refuser la violence, ni de s’y opposer, car elle est présente en nous aussi, mais d’élaborer une autre approche, constructive, et d’en imprégner notre mode de vie. Utiliser l’énergie des émotions pour transformer la violence en tendresse.

  1. 73 : Dans une non-violence idéale, on peut oublier le facteur émotionnel mais lui ne nous oublie pas. La peur peut nous inhiber ou nous incliner vers la lâcheté, la fuite, l’évitement des conflits. […] la colère peut nous inciter à prendre les armes mais aussi à chercher la toute-puissance. […] Elle peut nous inciter à choisir le terrain de l’adversaire. […] Transformer la violence suppose un travail concret et déterminé sur sa propre peur. Il est aussi nécessaire de construire à partir de sa colère.