A coeur ouvert à la prison de la Santé

Pour beaucoup de Parisiens, la maison d’arrêt de la Santé, renvoie l’image de ses hauts murs qui les protègent des exactions de malfaiteurs. Pourtant, Brassens parlait avec tendresse de celui qui a mal tourné : « qu’on envoya à la Santé se refaire une honnêteté ». Personnellement, j’avais peur de me confronter aux jeunes personnes détenues, dont je craignais la colère à l’encontre de notre société inégalitaire.
Avec 17 autres personnes bénévoles de l’association « A coeur ouvert » , j’ai eu la chance de participer au programme Sycomore à la prison de la Santé pendant six jeudis de juin et juillet 2022, de 10H00 à 18h00. Ensemble, nous avons accompagné 18
infracteurs qui, contre toute attente, se sont privés de promenades pour participer régulièrement aux sessions.
Nous avons été très bien accueillis par les Conseillers pénitentiaires de probation et d’insertion, les CPIP, ces éducateurs et éducatrices dans un monde de détenus et de surveillants. En lien avec eux, nous avons préparé les séances pédagogiques de Sycomore, programme éducatif et citoyen à visée restaurative. Ce programme a fait ses preuves avec les quelques 50 000 bénévoles de « Prison Fellowship International »
dans le monde  dont une cinquantaine en France avec l’association « A Coeur Ouvert »

Résolus à faire notre possible pour rompre le cercle vicieux du crime, nous aidons les détenus apprenants à découvrir la justice restaurative, complémentaire de la justice punitive (session 1) ; à identifier les excuses et alibis qui expliquent en partie leur délit ou leur crime, sans toutefois les exonérer de leur part de responsabilité (session 2). Il est alors temps de confronter infracteurs et personnes victimes, au coeur de la très attendue session 3. Vient ensuite le temps de la responsabilisation face aux conséquences de leurs infractions à court et à long terme pour leurs victimes directes et indirectes (session 4). Une rencontre avec un ancien détenu qui s’en est sorti les aide à se projeter pour bâtir un plan d’actions (session n° 5) avant qu’ils ne présentent un acte de restitution devant l’administration pénitentiaire et un large échantillon de
la société civile. (Session n° 6).
Travaillant en petit groupe avec quatre personnes détenues, j’ai constaté que plusieurs d’entre elles voulaient être entendus comme victimes avant de se reconnaître eux-mêmes comme infracteurs. Les ayant écoutés, la confiance s’est établie et nous avons progressé ensemble. En effet, le programme Sycomore repose sur le triptyque « infracteurs » – « victimes » – « société civile » où chacun fait un pas vers l’autre.
Ainsi, les sept personnes victimes venues témoigner ont remercié les détenus de les avoir écoutées et entendues en précisant que cette écoute leur permettait de guérir de leurs traumatismes toujours présents.

  • L’épouse d’un détenu a exprimé toute la souffrance que l’infraction de son mari causait dans la famille. Une victime de braquages que le programme Sycomore a apaisé leur a dit « Vous avez l’âge de mes fils, j’espère que vous allez bien vous en sortir ». Moi-même, membre de la société civile, j’ai médité sur mon côté infracteur quand, à l’âge de quinze ans, j’ai conduit un groupe en montagne, qu’un enfant de neuf ans est tombé et s’est tué. Nous tous, facilitateurs, avons en effet rempli les mêmes cahiers que les infracteurs en franchissant au fil des semaines les mêmes étapes qu’eux sur la reconnaissance de nos responsabilités. Il en est résulté une proximité d’humanité et de vulnérabilité, qui nous a rapprochés au fil des semaines, au point qu’il était dur de se quitter au terme du programme.
    Quant aux personnes détenues, elles ont elles-mêmes témoigné de leur cheminement le 7 juillet 2022 devant un parterre de 60 personnes, co-présidé par Yannick Le Meur, chef du SPIP francilien et Claudine Figueira, présidente d’« A Coeur Ouvert » en mettant des mots sur des maux :

    • C’est touchant ces femmes [victimes] qui ont pleuré devant nous ;
    • J’ai compris que, pour elles, les conséquences [d’un braquage] durent longtemps ;
    • On a pu se parler [à coeur ouvert] entre victimes et infracteurs bien mieux qu’à la barre ;
    • J’ai changé ma manière de voir la société ;
    • J’ai compris que j’avais besoin d’aide ;
    • Même si j’ai du sang sur les mains, je viens de planter une petite graine ;
    • Quand je serai tenté de récidiver, je penserai à Sycomore ;

Voici maintenant la parole de trois intervenants :

    • Guy : Les jeunes qu’on a rencontrés pendant 6 semaines étaient très en demande, comme des moineaux qui ouvrent le bec pour recevoir à manger.
    • Claire : Sycomore offre un espace d’écoute et d’échange privilégié, l’opportunité pour les apprenants de mettre des mots sur leurs émotions, leurs ressentis, leurs vulnérabilités. Cela produit un effet libérateur et les rend disponibles pour réfléchir aux conséquences de leurs actes et à leur responsabilité. Une phrase m’a marquée : « La vérité libère ».
    • Stéphane qui a changé de vie après 22 ans de prison : « Si j’ai pu le faire, vous le pouvez aussi ! »

J’aimerais conclure par la fin de la chanson de Brassens, dans l’espoir que le programme Sycomore s’étende pour réconcilier des victimes entendues, une société civile accueillante et des ex détenus résolus à changer :

Au bout d’un siècle, on m’a jeté
A la porte de la Santé.
Comme je suis sentimental,
Je retourne au quartier natal,
Baissant le nez, rasant les murs,
Mal à l’aise sur mes fémurs,
M’attendant à voir les humains
Se détourner de mon chemin.

Y’en a un qui m’a dit : “Salut !
Te revoir, on n’y comptait plus…”
Y’en a un qui m’a demandé
Des nouvelles de ma santé.
Lors, j’ai vu qu’il restait encor
Du monde et du beau monde sur terre,
Et j’ai pleuré, le cul par terre,
Toutes les larmes de mon corps